mardi 28 avril 2009

La Brouille des deux Ivan


C'est la fenêtre de recherche qu'affichait le Google de langue russe en mars dernier pour commémorer le 200e anniversaire de la naissance de Nicolas Gogol (la courbe de son nez est célèbre, c'est pourquoi on la représente à droite de Gogol).
Nonobstant Pouchkine, les Russes considèrent Gogol comme le fondateur de la littérature russe (peut-être y a-t-il du racisme là-dedans, Pouchkine ayant un grand-père noir dont il avait hérité certains traits, teint foncé, lèvres épaisses, cheveux crépus, mais ce n'est pas étonnant en Russie, pays particulièrement xénophobe, antisémite et, je dirais, «pantophobe*»).
Mais voici peut-être les raisons qui expliquent aussi la primauté de Gogol :


Le plus surprenant est de constater à quel point, plus d'un siècle et demi après sa mort, l'œuvre du maître est restée actuelle. «Ouvrez n'importe quel livre de Gogol et vous voyez la Russie d'aujourd'hui : la corruption, l'arbitraire des policiers et des juges, le mensonge et la tromperie», explique Evgueni Kisseliov, commentateur à la radio Écho de Moscou.

Mais Gogol fait l'objet d'une querelle entre l'Ukraine et la Russie car même s'il a écrit en russe (qu'il a profondément « ukrainisé », dit-on), il est né en Ukraine.
À l'époque de sa naissance les deux pays faisaient partie de l'Empire tsariste et la question ne se posait pas.
Aujourd'hui qu'on est devant deux pays elle se pose.
À quelle littérature appartient quelqu'un qui possède une nationalité quelconque et qui écrit dans la langue d'une autre nation que la sienne ?
À quelle littérature appartiendra Gabrielle Roy quand le Québec sera indépendant ?
James Joyce qui écrivait en anglais quand l'Irlande faisait encore partie du Royaume-Uni est-il un écrivain britannique ou irlandais ?
Un écrivain québécois (comme Émile Nelligan ou Gaston Miron) ou belge (comme Émile Verhaeren ou Maurice Maeterlinck) ou suisse (comme Jean-Jacques Rousseau ou Charles Ferdinand Ramuz) appartient-il à la littérature française parce qu'il écrit en français ?
Un écrivain appartient-il à sa nation ou à sa langue ?
S'il appartient à sa nation, alors n'existerait-il pas, à cause de William Beckford, une littérature britannique de langue française ; à cause de José-Maria de Hérédia, une littérature cubaine de langue française ; à cause de Joseph Conrad, une littérature polonaise de langue anglaise ?
Et Kafka : austro-hongrois de langue allemande, tchèque de langue allemande, juif de langue allemande, autrichien, allemand ? 

Et son œuvre : allemande, autrichienne, tchèque de langue allemande, juive de langue allemande ?
Et l'œuvre de Kundera est-elle tchèque en partie de langue française ?
En ce qui concerne Gogol, disons que comme la Russie a été fondée en Ukraine (par un Viking), la littérature russe a été fondée par un Ukrainien qui écrivait en russe.
Et quant à la querelle, Gogol n'avait-il pas écrit une nouvelle prémonitoire : « La Brouille des deux Ivan » ?

* pantophobe: « ayant peur de tout » ou « ayant la phobie de tout ». Ce qu'on craint c'est ce qui nous ressemble, dit-on, car on s'imagine savoir à quoi s'attendre des autres étant donné que c'est exactement ce qu'on leur ferait si l'occasion se présentait.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire